Non, le management hiérarchique n'est pas mort, affirme John Kotter
Peut-on allier la souplesse et l'esprit d'innovation d'une start-up à la fiabilité d'une grande entreprise ? Pour John Kotter, professeur à l'université de Harvard, c'est même souhaitable. Il explique dans son livre Accélérez : Oser l'agilité comment faire cohabiter les deux systèmes.
Je m'abonneLe monde semble plus mouvant et plus instable que jamais. De nombreuses entreprises autrefois florissantes mettent la clé sous la porte, faute d'avoir pu s'adapter au changement qu'elles ont pourtant perçu. De nombreux consultants conseillent alors aux entreprises d'abandonner la hiérarchie pyramidale pour adopter un management horizontal, une structure agile, une culture de start-up...
Mais pour John Kotter*, professeur émérite à l'université de la Harvard Business School et spécialiste du leadership et de la conduite du changement, le vieux modèle n'est pas à jeter, même si des améliorations à la marge ne suffisent plus.
Le vieux modèle n'est pas à jeter, même si des améliorations à la marge ne suffisent plus
Il observe qu'au début de leur vie, les entreprises fonctionnent "en réseau" : les connexions entres employés se font et se défont au gré des projets. Cette structure permet une innovation constante et une grande agilité des individus, qui partagent tous une vision commune de l'entreprise. Avec le temps, celle-ci acquiert une structure hiérarchique, agissant selon des processus managériaux plus classiques: planification, budgétisation, définition de poste, silos.
Pour l'auteur, une organisation hiérarchisée est capable de "produire des résultats incroyablement fiables et efficaces", c'est même "une des innovations les plus fascinantes du XXe siècle". Mais le système n'est pas satisfaisant dès qu'il s'agit de faire face à des changements profonds et imprévisibles.
Management horizontal et système hiérarchique
L'organisation hiérarchisée est une des innovations les plus fascinantes du XXIe siècle
John Kotter propose de mettre en place les deux organisations, le réseau et la hiérarchie, en parallèle, autrement dit: un système dual. La partie hiérarchique continue d'assurer les performances quotidiennes et annuelles. La partie réseau, gérée selon un principe de management horizontal et composée de volontaires qui y participent en plus de leur poste hiérarchique, adopte une structure beaucoup plus dynamique, réagit à tous les changements imprévisibles auxquels fait face l'entreprise et imagine des solutions.
Le sommet de la hiérarchie sert alors de relai entre le réseau et l'organigramme classique, afin que les deux travaillent efficacement. Ses membres doivent être conscients que leur rôle n'est pas de gérer le réseau mais de faciliter son développement. "Le système dual fait partie intégrant du cycle de vie des entreprises florissantes", nous affirme le président du cabinet de conseil Kotter International.
Des volontaires motivés pour conduire le changement
Ce système dual peut s'appliquer à toute l'entreprise, il peut également ne concerner au départ qu'une division. John Kotter cite l'exemple de la division commerciale d'une entreprise technologique en BtoB, dont la croissance s'essoufflait et qui perdait des parts de marché. Le directeur commercial eut l'idée de mettre en place un système dual au sein de sa division. Il expliqua à ses dix responsables qu'il fallait travailler avec plus d'intermédiaires, lancer les produits plus rapidement sur le marché, se développer en Asie, et réduire les coûts. Mais il fallait surtout créer chez leurs collaborateurs le sentiment d'urgence face à ces enjeux.
Ils formulèrent leur "grande opportunité", selon les mots de l'auteur, qui devait donner envie à tous de s'impliquer dans les changements stratégiques. Le message insistait sur la possibilité de devenir n°1 du secteur à condition d'évoluer suffisamment vite. Un groupe de 21 volontaires issus de toute la hiérarchie s'employa, en plus de leur travail habituel, à faire adhérer l'ensemble de la division à cette vision : réunions avec les responsables commerciaux, documents à destination des responsables commerciaux pour qu'ils diffusent les informations à leurs équipes, portail intranet fourni en vidéos, blogs et articles sur les changements en cours. Ils convainquirent les organisateurs de la conférence annuelle des responsables commerciaux de consacrer un quart du programme à ce message d'urgence. Certains des participants entreprirent à leur tour de rallier des collègues à leur cause. Cette "équipe de l'urgence" relayait sur le portail intranet tous les changements, même modestes, qui intervenaient. "Croyez-le ou non, dans un système dual les commerciaux sont capables de travailler passionnément sur des initiatives stratégiques sans gain financier immédiat", nous assure celui que le magazine Business Week appelle le "gourou n°1 du leadership".
Une fois les équipes sensibilisées, des volontaires passionnés par le projet et issu de tous les niveaux hiérarchiques formèrent une équipe pilote, qui mit en chantier cinq initiatives stratégiques, parmi lesquels recruter des collaborateurs hors du commun ayant l'habitude de l'Asie afin de rendre le lancement des produits plus rapide et plus efficace.
Lutter contre l'idée qu'on ne peut donner son point de vue sur des sujets qui ne concerne pas son poste.
Le groupe pilote communiquait régulièrement sur son action et demandait de l'aide aux autres collaborateurs dès qu'une expertise était nécessaire. L'auteur note que l'implication dans ce réseau horizontal de 5 à 10% des employés et des managers suffit pour qu'il fonctionne parfaitement. Les membres plus haut placés communiquaient toutes les informations stratégiques nécessaires aux participants subalternes, qui eux faisaient remonter des informations du terrain. Six mois plus tard, les cinq initiatives stratégiques avaient abouti, et grand nombre de petites idées innovantes virent le jour. Le plus gros du travail était alors de faire tomber les obstacles pour qu'elles prennent vie, de lutter contre l'idée ancrée chez de nombreux collaborateurs qu'il "ne leur appartenait pas de donner leur point de vue sur des sujets qui allaient bien au-delà du périmètre de leur poste".
Rapidement, l'efficacité du réseau ne fut plus à prouver. En deux ans, l'instauration du système dual avait permis une accélération de 55% des nouveaux partenariats, une augmentation des ventes de 44%, une croissance asiatique en hausse de 60%, une augmentation du bénéfice d'exploitation de 300%. Et l'entreprise était passée de cinquième de son secteur à deuxième.
*John Kotter, né en 1947, est considéré comme une autorité internationale sur le leadership et la conduite du changement. Enseignant depuis 45 ans à l'université de la Harvard Business School, il préside en parallèle l'agence de consultants Kotter International. Il a publié de nombreux livres, dont de nombreux ont été des best-sellers, sur la conduite du changement en entreprise.
Son dernier livre publié en 2014 Accélérez ! Oser l'agilité est désormais disponible en français aux Editions Pearson. 184 pages / Avril 2017. 28,00 €
John Kotter reprend ses recherches précédemment effectuées sur la conduite du changement pour proposer un système dual, où une hiérarchie classique et une organisation horizontale se côtoient en bonne entente. Ce système permet aux entreprises de faire face à un monde en changement perpétuel, et d'allier stabilité et innovation.
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