Faut-il retirer les commerciaux de l'avant-vente ?
Alors que la complexité des ventes augmente, l'avant-vente devient de plus en plus stratégique pour emporter l'adhésion du client. Pour qu'elle soit efficace, Frédéric Vendeuvre et Christopher Guérin suggèrent dans leur livre La vente différenciée de la repenser et d'en faire un processus collectif.
Je m'abonneComment se différencier ? S'il est primordial de se démarquer de ses concurrents, à en croire Frédéric Vendeuvre et Christopher Guérin, c'est de plus en plus délicat. "Quelles que soient les technologies, les récentes innovations n'apportent plus qu'un avantage marginal, insuffisant pour marquer un réel avantage face à la concurrence", affirment-ils dans leur ouvrage La vente différenciée. C'est pourquoi ils proposent une démarche pour se démarquer non par ses produits mais par son processus de vente.
"Il devient objectivement impossible pour un vendeur seul de parler de la valeur globale"
Cette différenciation doit s'opérer dès le stade de l'avant-vente. Avec des solutions "de plus en plus protéiformes, à forte composante technologique, qui ont un impact sur l'ensemble de l'organisation", les phases de présentation du produit et de découverte des besoins clients sont plus complexes, explique Frédéric Vendeuvre. Or, cette complexité fait que selon lui, "il devient objectivement impossible pour un vendeur seul de parler de la valeur globale". D'autant que le nombre de décisionnaires chez le client augmente et que le commercial doit s'adresser à un public parfois divers : directeur financier, directeur technique, DSI... L'avant-vente est donc plus que jamais stratégique : c'est le moment où jamais d'exposer la véritable valeur de son offre dans sa globalité à l'ensemble des décisionnaires, pour établir des relations à long terme.
Enlever les commerciaux des entretiens préparatoires
"Passer d'une avant-vente individuelle et artisanale à une démarche collective, en mode commando, cadrée et priorisée"
Selon l'auteur, c'est un "processus long, alors que le commercial est incité à faire du quick win". C'est pour cela qu'il recommande de "passer d'une avant-vente individuelle et artisanale à une démarche collective, en mode commando, cadrée et priorisée". En clair : lors de l'avant-vente, les entretiens de découverte des besoins des clients sont indispensables, mais ne doivent pas être menés par les commerciaux. Ils peuvent être conduits par des équipes projets dédiées, rassemblant soit des consultants internes au profil pluridisciplinaire, soit différents services : l'équipe marketing mènera les entretiens auprès du directeur marketing, l'équipe technique auprès du directeur technique... "Le fait que ces équipes n'aient pas la casquette de commercial leur donne accès à certaines fonctions de décideurs que le commercial arrive difficilement à rencontrer, explique le fondateur d'Halifax Consulting. Et avoir le même poste que le client leur permet de discuter de business à business, de rompre la glace plus facilement, ce qui permet de commencer à construire une offre customisée et différenciante." Le livre conseille de réaliser trois à cinq entretiens par client, sur différents niveaux d'interlocuteurs.
Les questionnaires élaborés à cette occasion doivent être distincts selon la fonction et sortir de la relation traditionnelle de vente. L'idée, expliquent les auteurs dans le livre, est "d'aller à la rencontre des intervenants clés et de terrain dans toutes les fonctions de l'entreprise du client afin d'identifier leurs impératifs [...]. La synthèse de ces entretiens nous permettra de mieux cerner les attentes, et remettre en cause des présupposés, tels que 'le premier et unique critère : c'est le prix'."
Recentrer le commercial sur la négociation
Pour la force de vente, accepter de laisser les entretiens d'avant-vente à d'autres implique un grand lâcher prise, mais Frédéric Vendeuvre est convaincu que les réactions ne sont pas forcément négatives : "Certes, le commercial a toujours un réflexe territorial, mais l'expérience montre que si on l'associe au travail préparatoire, cela le fait monter en compétence. Il se rend compte qu'il ne peut pas poser certaines questions, et accepte mieux le processus", qui lui permet ainsi d'avoir des informations qu'il n'aurait pas obtenu autrement. Il découvre également des questions auxquelles il n'aurait pas pensées mais qui sont évidentes pour un DAF ou un DRH.
Le commercial retrouve son rôle de négociation et de contractualisation
En plus de la préparation des entretiens, le commercial est impliqué dans la construction de l'offre. Et surtout, "il retrouve son rôle de négociation et de contractualisation. Quand le commercial est le seul lien face à une organisation des achats, c'est très mauvais pour la négociation. Dans un cycle de vente long, il sera tellement impliqué émotionnellement dans le processus qu'il pensera qu'il ne peut de toute façon pas perdre la négociation", au risque de passer à côté de signaux importants et de rater le contrat. Alors que "s'il est en retrait dans les premières phases, il aura plus de recul".
Il est évidemment impossible de déployer cette organisation sur l'ensemble des affaires, mais l'auteur, ancien diplômé de l'EM Lyon, assure que si ce système opère sur cinq à dix affaires prioritaires, le commercial aura beaucoup plus d'autonomie sur ses autres contrats. Il gardera ses techniques de vente, mais "enrichies par l'expérience au contact d'autres collaborateurs chez lui, que ce soit le directeur financier ou le directeur de la production".
Le livre
La vente différenciée est une démarche commerciale qui permet notamment d'aller chercher de la croissance sans faire chuter la marge, mieux se différencier, et segmenter son portefeuille clients pour mieux innover. A lire sur notre site, les bonnes feuilles du livre : Sélectionner son mode d'établissement des prix étape par étape
La vente différenciée, 200 pages, avril 2017, éditions Dunod, Frédéric Vendeuvre et Christopher Guérin.
Frédéric Vendeuvre est diplômé de l'EM Lyon, il a notamment travaillé chez Xerox avant de fonder Halifax Consulting. Christopher Guérin est diplômé de l'INSEAD et l'ESDE. Il a travaillé chez Linde et Nexans, dont il est aujourd'hui directeur général Europe et membre du Management Board.
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