Omnicanal : les entreprises contraintes de faire leur mue
Poussées par la multiplicité des canaux d'interaction et de vente avec ses clients, les entreprises doivent se transformer. Au coeur de ce bouleversement : l'omnicanal. Passage obligé pour les entreprises, l'omnicanal entraîne dans son sillage de profondes mutations des organisations commerciales.
Je m'abonneFournir une expérience client unifiée et fluide incluant tous ses points de contact. Voilà le défi relevé par Lyreco ces dernières années. Pour le distributeur de fournitures de bureau, l'année 2014 a ainsi été celle du changement, d'un virage négocié au coeur des mutations de l'omnicanal. " Trois grandes évolutions ont alors été entreprises : la mise en place d'un CRM pour les commerciaux grands comptes, le développement de notre webshop, et la possibilité de travailler des offres personnalisées grâce une utilisation poussée des réseaux sociaux afin de faire de la prospection et d'identifier les décideurs, ce qui suppose une présence en ligne quotidienne ", explique Paul Simpé, directeur commercial grands comptes de la société. Son objectif : parvenir à une synergie et une mutualisation des différents canaux, afin de mettre en cohérence la connaissance des parcours client à tous les niveaux, les actions menées et les messages envoyés.
Des modèles à l'aube du renouveau
L'omnicanal implique le passage permanent d'un canal à un autre
Les dernières années ont surtout été marquées par le multicanal, où les canaux étaient gérés indépendamment, en silos, par peur d'une cannibalisation d'un canal sur l'autre. " Dans cette configuration, on trouve classiquement un responsable pour chaque canal, l'un communiquant peu avec l'autre. Cette phase touche désormais à sa fin avec le cross et l'omnicanal qui arrivent dans les organisations ", relève Régine Vanheems, professeur des universités spécialiste de la distribution du multi, cross et omnicanal, et auteur de l'ouvrage Réussir sa stratégie cross et omnicanal. L'omnicanal implique le passage permanent d'un canal à un autre. Sans communication entre les responsables, l'offre de la marque et la relation client deviendraient alors totalement incohérentes, sources d'insatisfactions.
Dans le domaine du B to C, les grands acteurs du commerce restent généralement encore ancrés dans un modèle multicanal, avec, parfois, une présence forte en ligne mais qui ne représente pas forcément une transformation digitale convaincante. Le site internet de Leroy Merlin figure dans le top 10 des plateformes commerciales françaises les plus visitées. Pour autant, son chiffre d'affaires imputable au Web n'est que de 50 millions d'euros, alors que ses recettes globales atteignent 8 milliards d'euros. À titre de comparaison, son concurrent en ligne ManoMano, qui s'est lancé il y a quelques années, dépasse les 80 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Lire aussi : Christine Lai (EM Lyon) : «Respecter l'autonomie des managers commerciaux est fondamental»
Toutefois, la nécessité de révolutionner son modèle de vente et d'interaction avec les clients entre progressivement dans les esprits. " L'idée figure désormais dans les plans de toute la grande distribution, du textile à l'alimentation en passant par bien d'autres secteurs, témoigne Philippe Nault, directeur technique de Zebra Technologies, fournisseur de solutions pour le déploiement de stratégies omnicanales. Cet aspect est présent dans tous les appels d'offres ou dossiers que nous traitons aujourd'hui. Il y a un an encore, il n'avait rien de systématique. "
Les nouvelles technologies au coeur du changement
Il paraît essentiel, dans les offres commerciales, d'aider le client à passer très facilement d'un canal à un autre. Un produit repéré en ligne doit être identifié très facilement en magasin grâce, par exemple, aux puces RFID intégrées qui permettent désormais d'orienter directement le client via son smartphone, lorsqu'il arrive en boutique. À l'inverse, des techniques permettent aujourd'hui au consommateur de retrouver en ligne facilement un produit préalablement repéré en magasin.
Le déploiement de solutions logicielles et technologiques forme une condition sine qua non pour élaborer une stratégie omnicanale véritablement efficace. " Avec la remontée d'informations collectées qui alimentent les tableaux de bord, le métier des managers commerciaux évolue radicalement. Grâce aux dispositifs techniques que suppose le virage de l'omnicanal, il est possible de déclencher des actions à tout moment. On obtient une visibilité en temps réel de l'effet d'une offre promotionnelle sur les ventes. On peut vérifier le positionnement de cette dernière par rapport au trafic dans le magasin ", souligne Philippe Nault. L'omnicanal représente ainsi un outil d'aide à la décision facilitant l'optimisation de la gestion des flux et des stocks.
Ces données peuvent être précieuses à transmettre au commercial qui peut disposer de statistiques de ventes sur une période donnée par exemple, et ainsi mieux comprendre certains phénomènes ou résultats. La grande distribution semble très encline à mettre en place, en premier lieu, ce type de solutions. " C'est d'ailleurs là que sont installés nos produits pilotes actuellement, aux États-Unis et en Europe ", poursuit Philippe Nault. Paul Simpé (Lyreco) remarque que " de façon générale, les solutions technologiques et logicielles permettent un pilotage de la performance. On mesure ainsi facilement les écarts entre ce qui est plutôt bien acquis et ce qui reste à travailler, à approfondir. Le ciblage, la définition du besoin et la collaboration avec le marketing en ressortent gagnants. "
Vers une mutation des métiers
L'omnicanalité implique beaucoup de technologie, mais l'humain est plus que jamais central
Les commerciaux ont-ils été les grands oubliés de la multicanalisation ? Pour Régine Vanheems, c'est une évidence : " La plupart des professionnels ne se sont pas rendu compte qu'en implémentant un site Internet, les métiers du commerce allaient être radicalement transformés. La connaissance du client change, donc la relation avec le commercial également. Il n'est aujourd'hui pas rare de voir un client en savoir bien plus que par le passé sur un même type de produit. On a désormais compris que les commerciaux doivent intégrer de nouvelles compétences. L'omnicanalité implique beaucoup de technologie, mais l'humain est plus que jamais central. Un apport en termes de services, de conseils, ou encore une proposition globale orchestrée en fonction des besoins spécifiques du client, de son profil fait alors la différence. "
Dans ce nouveau contexte où la connaissance client devient très fine, les commerciaux sont à même de faire mouche plus rapidement. " Mais encore faut-il avoir une réelle maîtrise du profil du client, connaître son historique de consommations, ses objectifs, son niveau d'engagement ", s'interroge Paul Simpé. Selon lui, c'est la connaissance de ce profil qui va permettre de personnaliser l'expérience client. Bon nombre d'observateurs du secteur notent que les commerciaux manquent encore de présence dans la sphère digitale, qu'un frein persiste lorsqu'il s'agit d'aller chercher des clients pourtant apportés par les sites internet. " On a aujourd'hui des leads qualifiés qui arrivent via le site d'e-commerce de la marque et on se rend compte parfois que les commerciaux ne les recontactent pas, constate Erwan Paccard, directeur de la stratégie omnicanale chez Dynatrace, spécialiste de la gestion de la performance digitale. Une attitude qui montre clairement, selon lui, " que ces mutations ne sont pas encore véritablement entrées dans les pratiques professionnelles au quotidien ". C'est d'autant plus problématique, que le client, lui, a déjà sauté le pas !
Pierre Gressier, vice-président retail and services chez GFI Informatique
Les stratégies omnicanales restent-elles aujourd'hui négligées ou mal comprises ?
Beaucoup de décideurs considèrent encore que l'omnicanal est simplement un concept web-to-store, une notion qui consiste à avoir une logistique et une gestion de stock adaptées, à l'image du modèle click & mortar des années 2000, qui consistait, pour une entreprise traditionnelle, de se doter simplement d'une activité en ligne en la considérant comme une vitrine supplémentaire qui s'additionne à celles que représentent ses canaux classiques. Avec l'avènement des appareils mobiles, cette approche est, bien sûr, dépassée. Le grand danger pour les retailers physiques qui n'adoptent pas le virage de l'omnicanal est que leurs magasins finissent par n'être plus que des showrooms.
En quoi les entreprises qui choisissent de développer leur activité en ligne sans remettre en cause leur organisation d'ensemble font-elles le mauvais choix ?
Actuellement, au sein de nombreux acteurs, le fichier client est un fichier mentionnant des clients rattachés à un magasin. En conséquence, ceux-ci ne sont pas connus du site internet lorsqu'ils se rendent en ligne, car la plateforme est conçue comme un magasin à part. Ramener les clients d'un magasin sur le site internet est pertinent en termes de décloisonnement de l'offre, mais aussi d'un point de vue opérationnel. Lorsqu'un client du site internet se plaint en raison d'un retard de livraison, pourquoi le vendeur en magasin ne pourrait pas le renseigner sur les origines du problème ? L'information se trouve toujours quelque part dans le système d'information. Il faut aujourd'hui la mettre véritablement à profit si on veut survivre. Se réorganiser sur ce plan, c'est trouver un nouveau moyen précieux de créer de la valeur.
En complément:
La relation client omnicanale : un vrai changement de culture
Omnicanal : quelle rémunération pour les commerciaux ?
Quels outils au service d'une stratégie Omnicanale ?