Parité. Mais où se cachent les femmes dircos ?
Les postes à responsabilités se féminisent. Lanterne rouge de cette mouvance : les directions commerciales, qui restent encore très fermées aux talents féminins.
Je m'abonneQuel est le point commun entre Decléor, Mattel France et Bourjois ? Ces trois marques, pourtant imprégnées de féminité, sont dirigées, au plan commercial, par des hommes ! Au regard de leur clientèle, on aurait pu s’attendre à les voir “coiffées” par des business women… Assurément, si ces trois exemples ne suffisent pas – loin s’en faut – à établir une tendance générale, ils font cependant naître une question : les directions commerciales seraient-elles hostiles aux jupons ? Un chiffre apporte un début de réponse. Chez les DCF, l’association qui réunit les dirigeants commerciaux de France, on compte seulement 17 % de femmes – contre 40 % d’adhérentes à l’Adetem, l’association nationale du marketing. Une présence féminine discrète, qui laisse penser que les directions commerciales sont plus à l’aise en pantalon.
Peu de femmes candidates
« À l’issue de leurs études supérieures, les garçons sont, aujourd’hui encore, plus nombreux que les filles à embrasser la carrière commerciale, constate Christian Lanis, directeur des bureaux parisiens du cabinet Éric Salmon & Partners. La raison ? L’image très masculine associée à ce métier. « A contrario, le marketing est convoité par d’innombrables jeunes femmes en quête de travail collectif et de sédentarité. Le stress lié aux objectifs, la solitude et les déplacements multiples effraient bon nombre de jeunes diplômées », avance Francine Jacquier, directrice des bureaux parisiens de Lee Hecht Harrisson. « Et plus on progresse dans la hiérarchie de la profession, moins on trouve de femmes », ajoute Christian Lanis. Deux raisons à cela. L’une est mathématique : si les femmes sont déjà peu nombreuses à la base de la pyramide, elles se raréfient lorsque l’on s’approche de son sommet. « Résultat : lorsque les directions générales lancent le recrutement d’un directeur commercial, elles reçoivent davantage de candidats que de candidates », poursuit Christian Lanis. La seconde explication est “congénitale” : les femmes sont confrontées, dès lors qu’elles décident de devenir mamans, à l’éternelle difficulté de mener de front carrière professionnelle et vie de mère. Jusqu’ici, rien de très original. Mais il semble que l’équation soit encore plus difficile à résoudre dans la vente. « Le poste de directeur commercial est très contraignant, assure Michèle Boyer, directrice de Qualistar, société de conseil et de formation commerciale. Le manager doit être particulièrement disponible afin d’assurer à la fois les visites clients et les accompagnements des vendeurs sur le terrain. » Être organisée n’est alors plus seulement une qualité requise, mais une condition sine qua non de réussite. Christine Ourmières en sait quelque chose. En janvier 2002, elle est mère de deux enfants et se prépare à accueillir le troisième lorsqu’elle est nommée directrice commerciale du département ventes internationales d’Air France. La première surprise passée, elle accepte le poste. « À mon retour de congé maternité, les premiers temps ont, bien sûr, été un peu difficiles en raison d’un agenda très chargé. Il m’a fallu apprendre à gérer mes déplacements afin qu’ils ne soient ni trop nombreux ni trop longs. Par ailleurs, j’ai rendu l’organisation du service plus rigoureuse afin d’éviter les soirées de travail imprévues, par exemple. » Près d’un an et demi plus tard, le bilan de Christine Ourmières est positif : elle a su gagner la confiance de sa direction tout en préservant sa vie privée.
Une femme dirigeant des hommes ?
Reste qu’Air France fait encore figure d’oiseau rare dans le ciel industriel français. Et ce, à double titre. Non seulement le top management de la compagnie s’est féminisé – le conseil de direction compte désormais 5 femmes sur un total de 47 personnes –, mais cette évolution s’est révélée particulièrement forte dans le métier commercial. L’an dernier, les femmes y représentaient 77 % des effectifs (contre 50 % au sein du département marketing) ! Pas étonnant, dans ces circonstances, de trouver une femme à la tête des troupes commerciales. Ailleurs, la tendance est à peine amorcée. « Les directions générales ont encore du mal à intégrer qu’une femme puisse diriger des hommes », déplore Michèle Boyer, de Qualistar. Elle se souvient d’ailleurs de sa rencontre avec le directeur des ressources humaines d’une société dont elle briguait, à l’époque, le poste de directrice commerciale. « Après m’avoir assuré que ma candidature était la meilleure, la direction des ressources humaines m’a annoncé qu’elle ne serait cependant pas retenue. La direction générale ne voulait pas prendre le “risque” de me nommer. « La raison ? La peur, en cas d’échec, de se voir reprocher longtemps l’embauche d’une femme. »
Témoignage
Christine Marcouyoux, présidente de Productis, cabinet spécialisé dans le développement de la performance commerciale « Patience est mère de toutes les vertus… » Aujourd’hui consultante au service des directrices et directeurs commerciaux, Christine Marcouyoux a longtemps exercé elle-même cette fonction. Après un bref passage dans l’assurance, elle s’oriente vers l’une des plus célèbres écoles de vente et intègre Rank Xerox en 1977, comme commerciale terrain. Débute alors un long chemin vers le middle puis le top management. « J’ai dû patienter sept ans avant d’être promue chef des ventes, se souvient Christine Marcouyoux. Si j’avais été un homme, murmure-t-elle, j’aurais sans doute pu prétendre à cette évolution au bout de trois années seulement. » L’explication ? « Une extrême prudence de ma direction, qui, de toute évidence, souhaitait prendre un maximum de précautions avant de propulser une femme à ce poste. » Et davantage encore avant de l’asseoir dans le fauteuil de directrice commerciale : Christine Marcouyoux a du patienter six longues années avant d’atteindre ce poste.
Témoignage
Christèle Fontaine, directrice commerciale de La Poste Bouches-du-Rhône « Ne pas être trop maternelle » Marseille. Son port, ses calanques, et… ses Marseillais. Christèle Fontaine les côtoie depuis bientôt cinq ans. Et en manage certains depuis le mois de mai 2002, date à laquelle elle prend la direction commerciale courrier-colis de La Poste Bouches-du-Rhône, un service composé de 110 personnes. « La force de vente compte à peu près autant de femmes que d’hommes, déclare-t-elle. En revanche, les chefs des ventes sont tous des hommes. » Alors, manager les plus “latins” des vendeurs français quand on est une femme, c’est possible ? « Absolument, répond Christèle Fontaine. Il suffit de parvenir, grâce à un management participatif, à établir une relation de proximité avec chacun d’entre eux sans pour autant tomber dans le copinage ou – pire – le maternalisme. » Un écueil que bon nombre de femmes peinent à éviter dès lors qu’elles deviennent managers et qui risque de biaiser la relation professionnelle en la faisant basculer vers l’affectif. La recette : « Organiser des réunions aussi régulières que formelles, confie Christèle Fontaine. Et éviter toute complaisance… »