Gestion des compétences : faites grandir vos commerciaux en herbe
Chez les juniors, l’euphorie de la victoire est aussi vive que le désarroi des premiers revers. Pour bien les coacher, sachez attiser leur goût du challenge.
Je m'abonneLe véritable carburant d’un junior, c’est le succès ! » Fabrice Courdesses s’intéresse de très près à l’encadrement des jeunes vendeurs. Directeur général de l’institut de formation Dale Carnegie, il embauche, bon an mal an, cinq ou six commerciaux débutants, c’est-à-dire, précise-t-il, « qui s’apprêtent à vivre leur deuxième expérience professionnelle. Leur principal trait de caractère est d’être encore très intuitifs. Ils ont une approche quasi instinctive de la vente, que nous nous employons à leur faire dépasser afin de leur donner de solides bases méthodologiques. » Le but étant de les aider à remporter leurs premières “victoires”, celles qui leur donneront la hargne et la confiance dont ils ont besoin pour avancer. C’est aussi la méthode préconisée par Patrice Laïlle, directeur national des ventes de la division bois de Berner (spécialiste de la vente directe d’outillage et de consommables techniques). « Un junior arrive “vierge” de toute méthode, explique-t-il. Nous pouvons, alors, le modeler à notre image via notre école de vente. » Selon Georges Nikakis, responsable du département marketing et action commerciale de Demos, un grand nombre d’entreprises négligent la formation de leurs vendeurs en herbe. « Ils sont mis sur la route bien trop tôt, proteste-t-il. Démunis face à des clients de plus en plus retords, de mieux en mieux informés, ils ne parviennent pas à tenir la distance, d’où un turn-over anormalement élevé chez les débutants. » Pour le porte-parole de Demos, la pierre angulaire de la prise en main des juniors reste la formation produits. « Il faut leur faire maîtriser l’offre sur le bout des doigts, conseille-t-il, et, pour cela, leur fournir des argumentaires techniques précis. » Il est aussi nécessaire d’insister sur la réponse aux objections. « Il s’agit d’identifier les remarques récurrentes des acheteurs et de préparer, pour chaque objection, un contre-argument solidement construit. » Le principal danger étant que le client profite d’une faiblesse du vendeur pour prendre le leadership. « Dans une telle situation, observe Georges Nikakis, le junior perd pied, à coup sûr. » C’est alors qu’il risque de jeter l’éponge.
Tableaux de bord et questionnements réguliers
Pour éviter le syndrôme de la perte de confiance, il est donc nécessaire de munir ses jeunes collaborateurs d’un véritable arsenal d’argumentaires produits. « Mais il faut aussi, ajoute Fabrice Courdesses, opérer un suivi extrêmement serré de leur évolution. » Cela passe, tout d’abord, par un reporting quotidien, non seulement quantitatif mais aussi qualitatif. « Nombre de débutants s’escriment à prendre des rendez-vous, parfois au détriment de la qualité », remarque Georges Nikakis. Tel un entraîneur sportif, le directeur général de Dale Carnegie suit l’évolution de ses consultants à l’aide de “feuilles de match”. « Je veux savoir combien chaque joueur a enregistré de services gagnants, d’aces, de passing shots, etc. » Grâce à des tableaux de bord complétés d’un questionnement fréquent et régulier, Fabrice Courdesses analyse chacun de leurs pas. « Cela n’a rien à voir avec du “flicage”, insiste-t-il. C’est du management de proximité. » L’objectif d’une telle thérapie étant de repérer chaque lacune dès ses premiers symptômes afin d’enrayer aussitôt le processus d’essoufflement. « Plus que tout autre collaborateur, un junior a besoin d’être évalué », argumente Georges Nikakis. « Il peut supporter quelques claques, mais à condition que son manager soit là pour l’y aider », renchérit Fabrice Courdesses. Aider sans assister, c’est aussi le rôle du coaching terrain, qui consiste à faire accompagner les juniors par des seniors ou par leur “n+1”, en entretien de vente. « C’est une excellente méthode, estime Georges Nikakis, à condition qu’elle soit pratiquée de façon plus responsabilisante que directive ou – pire – paternaliste ! » Concrètement, loin d’être là en simple observateur, le débutant participe à l’acte de vente. « Bien sûr, la passation de témoin s’opère progressivement », tempère Patrice Laïlle (Berner). L’important étant de debriefer oralement chaque entretien de vente afin d’identifier les leviers – simples ou plus sophistiqués – de progrès.
De l’âpre concurrence à la saine émulation
Autre trait saillant de la personnalité des jeunes vendeurs : leur goût pour les challenges collectifs. Profitant de cette propension naturelle, certaines entreprises tentent d’attiser leur saine rivalité et de susciter l’émulation au moyen de challenges collectifs et ponctuels : “Untel a pris neuf rendez-vous cette semaine. Si vous atteignez, en moyenne, dix rendez-vous au cours de la semaine prochaine, j’invite toute l’équipe à déjeuner au restaurant.” Ce genre de recette fonctionne d’autant mieux qu’elle permet d’incorporer de la nouveauté au quotidien des vendeurs. De l’avis de Georges Nikakis, « les jeunes gens possèdent une culture “zapping”. Ils passent d’une activité à l’autre avec une facilité déconcertante et, a contrario, se laissent gagner par la lassitude quand on leur confie des missions de trop longue haleine. » Chez Dale Carnegie, Fabrice Courdesses pousse encore plus loin la logique de l’émulation, utilisant un système de reporting comparatif. « Mais attention, prévient Georges Nikakis, s’il peut être judicieux d’exploiter, chez eux, ce goût des défis, il convient d’éviter soigneusement que l’émulation ne dégénère en une âpre concurrence. » Plus que tout autre commercial, un junior risque à tout moment de perdre la foi. Son management doit donc veiller à le stimuler sans jamais le décourager. « Enfin, conclut Fabrice Courdesses (Dale Carnegie), il faut savoir décréter, au bout d’un moment, que l’apprentissage est fini. » Le danger ? Voir le commercial se réfugier derrière le sempiternel “C’est normal, je débute”. Pour empêcher vos coéquipiers de dissimuler leurs faiblesses, voire leur incompétence, au moyen de ce bouclier dérisoire, estimez-vous en droit d’attendre des résultats à un instant T, connu des deux parties. « Une fois qu’ils ont bénéficié d’un vrai plan de formation et d’accompagnement, c’est à eux de faire leurs preuves », affirme Fabrice Courdesses. Et, comme le souligne Georges Nikakis, « s’il n’existe pas vraiment de délai canonique de formation, il faut bien considérer, un jour, que le débutant cesse de l’être ! »
Témoignage
Patrice Laïlle, directeur national des ventes de la division bois de Berner « Sécuriser les juniors en affûtant leurs compétences » Berner (spécialiste de la vente directe d’outillage et de consommables techniques) intègre, chaque année, deux cent cinquante à trois cents commerciaux, dont un tiers peut être considéré comme des juniors. Les jeunes recrues suivent trois cycles de formation d’une semaine chacun. « Le premier vise à leur donner une base culturelle commune (découverte du secteur, du vocable professionnel, maîtrise du catalogue, etc.), explique le directeur national des ventes de la division bois. Le deuxième module se passe sur le terrain et met le jeune collaborateur en contact avec un commercial confirmé qui lui sert de coach. Le troisième a lieu trois mois plus tard et fait la part belle aux techniques de vente (argumentation, traitement des objections, etc.). » Durant ce processus d’accompagnement, l’objectif prioritaire est la mise en confiance. « Nous n’exigeons aucun diplôme ; nous accueillons donc des collaborateurs dotés de bagages très différents, que nous nous efforçons de sécuriser en développant leurs connaissances. » Chez Berner, donc, débutants et confirmés, autodidactes et diplômés partent avec les mêmes chances de succès. « Même nos challenges de vente sont adaptés aux possibilités de chacun. Nous voulons donner toutes leurs chances aux débutants. »
À retenir
- Le junior a une approche intuitive de la vente. La priorité est donc de le munir de bases méthodologiques solides. - Il est aussi plus exposé au découragement. Pour prévenir cela, pratiquez le management de proximité et instaurez un reporting quotidien. - Le coaching terrain est une autre méthode efficace. Préférez sa version responsabilisante. - Les jeunes commerciaux ont le goût des challenges collectifs. Profitez-en pour susciter, entre eux, une saine émulation. - Sachez limiter, dans le temps, la période d’apprentissage : il faut bien qu’un jour, le junior passe dans la catégorie supérieure !